Les rites forestiers.

L'esprit des forêts - la forêt de Chaux - les vieux métiers

 

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Les forêts ou la religion buissonière d'après Charles Wright

" Le monde actuel a beau être quadrillé, il subsiste heureusement des échappatoires pour se soustraire aux sommations du moment : la connexion, l'accélération, l'accumulation des objets. Les forêts en font partie. Depuis toujours, ces marges végétales attirent les esprits frondeurs. Elles sont le refuge des proscrits, des amants, des inadaptés, des poètes, des fous. Comme ces irréguliers, il m'arrive souvent d'y avoir recours. Avec Idéfix, le chien d'Obélix, je fais partie de ceux que la mort d'un arbre plonge dans la peine. Lorsque tout tangue, c'est sous les frondaisons de ces vieux confidents que je vais chercher le réconfort. La forêt est un médicament, le meilleur antidote contre la déprime. Son haleine dilate les poumons et le coeur, fouette le sang, insuffle des grandes bouffées de santé physique et morale et donne l'énergie de vivre. Mais ces infinis de verdure ne sont pas seulement des dispensateurs de vitalité et d'émerveillement ; ce sont aussi des maîtres en vie mystique. « On apprend plus de choses dans les bois que dans les livres », soutenait déjà Bernard, le fondateur des Cisterciens. C'est vrai qu'une promenade en forêt vaut tous les traités de spiritualité. Ces cloîtres végétaux, où règne un recueillement de cathédrale, enseignent l'art de se taire. Instinctivement, on baisse la voix, de peur que l'effraction d'un son ne déchire la plénitude du silence qui règne sous le dôme des grands arbres. En s'enfonçant dans les futaies, entre deux haies de fougères qui ont l'air de nous faire un triomphe, on ressent comme un saisissement. L'air est chargé de paix, d'intériorité, de toute une vie cachée. Les vieux douglas ressemblent à des cierges qui flambent, tandis que les chênes, agités par le vent, se balancent comme des juifs à la synagogue. Ici, on comprend qu'il n'y a pas à introduire le silence en nous, à le fabriquer : il est toujours là, enchâssé dans le réel, intérieur à toute chose. Dans cette grande aphonie, on dirait que la forêt célèbre quelque chose. Tout apparaît comme le fruit d'une générosité, d'une donation. Puis voici un châtaigner posé là, comme un vieux monsieur patient. Rien n'est plus digne d'admiration qu'un arbre qui a pris le temps de déployer sa forme. Sa beauté rappelle que les grandes choses ne se font pas en courant. Les arbres incarnent des vertus démodées : la lenteur, la patience, la mémoire. La présence de ces patriarches maintient éloigné de l'empressement du monde.En contrebas, un ruisseau d'une pureté cristalline dévale des rochers. Cette eau, qui vient d'un trop-plein et qui se donne joyeusement, est fascinante. Ce n'est pas tant sa limpidité ou sa fraîcheur qui me frappe, mais son humilité : elle coule sans effort, se contente de couler. Il faudrait savoir régler notre conduite sur l'eau : se déprendre de toute inquiétude, relâcher toute tension, ne rien retenir... Dans les arbres, ces châteaux aériens, des mésanges traduisent leur contentement d'exister avec des notes mélodieuses qui jettent dans l'air une gaieté contagieuse. Puis soudain, au détour d'un chemin, c'est l'apparition d'une biche. La bête me regarde étonnée, puis disparaît en quelques foulées légères et gracieuses, laissant dans mon coeur l'impression d'une manifestation divine. Ces êtres merveilleux sont comme les « visites du Verbe » dans les traités mystiques de Bernard de Clairvaux : on ne pressent pas leur survenue, on ignore d'où elles viennent ni où elles vont... Les forêts sont les lieux d'une religion buissonnière. Dans cette féerie verte, où le sacré se débusque partout, on reçoit le baptême des choses simples. Ici, pas d'autre liturgie que celle de se prosterner devant la pure majesté du réel, et de s'émerveiller devant l'épiphanie des choses qui sont là, dans leur dénuement originel, leur transparence primordiale. Et c'est très bon. "

Charles Wright vit en Ardèche, proche d'un monastère, où il mène une vie spirituelle qu'il partage au fil de ses livres. Son dernier livre, le Chemin des estives, est paru aux éditions Flammarion.

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